Publié le 22.11.2022

Lauréate EIC Pathfinder Open 2021

Interview de Chantal PICHON, coordinatrice de Yscript

Chantal PICHON, professeure à l'Université d'Orléans, obtient le financement de son projet EIC Pathfinder Open 2021 appelé Yscript. Elle a accepté d'échanger avec nous sur son expérience en tant que coordinatrice mais également en tant qu'évaluatrice, retrouvez son interview ci-dessous.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis Chantal PICHON, professeure à l’Université d’Orléans, lauréate de la Chaire innovation à l’Institut universitaire de France et je suis également professeure invitée à l’Institut de santé à la Charité de Berlin. Je suis à la tête du département « Signalisation cellulaire, cibles moléculaires et thérapies innovantes » au Centre de Biophysique Moléculaire et mes recherches dans le domaine de la nanomédecine sont tournées autour des thérapies innovantes utilisant les acides nucléiques.

Vous êtes lauréate d’un projet EIC Pathfinder Open 2021 qui s’appelle Yscript, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots les objectifs du projet ?

Ce projet a pour but de développer une technologie de bioproduction d’ARN-messager, une technologie alternative à celle existant actuellement. Nous proposons un changement de paradigme en visant la production dans la levure comme cellule usine. C’est une cellule eucaryote qui produit des ARN-messagers similaires à ce que nous retrouvons chez l’Homme. Il existe plusieurs outils d’ingénieries de la levure qui est en plus considérée comme sécure car elle est déjà utilisée pour la bioproduction de plusieurs médicaments. La bioproduction que nous proposons est à faible coût, en « one-pot », évitant l’utilisation de plusieurs réactifs dont beaucoup nécessitent une licence d’exploitation. S’affranchir de ces réactifs permet d’exploiter les ARNm thérapeutiques sans avoir un impact économique important.

Pouvez-vous nous présenter vos différents partenaires sur ce projet ? 

Dans notre consortium, il y a plusieurs laboratoires académiques : le CNRS pour mon laboratoire, l’Institut de chimie bio-organique de Poznan, spécialiste sur les interactions ARN-messagers et protéines, notamment celles que j’exploite. Il y a aussi TWB à l’INRAE qui est un démonstrateur industriel spécialisé en bioproduction pour la montée en échelle, les Universités d’Aveiro et de Beira Interior du Portugal, spécialistes sur tout ce qui est supports et méthodes de purification. J’ai la chance d’avoir TRON expert en ARN messager vaccins et thérapeutiques, l’institut translationnel oncologie de Mainz fondé par Ugur Sahin, le fondateur de BioNTech qui a mis au point un des vaccins ARN messagers de la Covid-19. Puis, il y a deux partenaires privés, il y a Bia Separations qui est une filiale de Sartorius, pour la purification à grande échelle des ARN messagers, et Eurice qui nous accompagne pour tout ce qui est management, dissémination et communication.

Pourquoi vous êtes-vous positionnée en tant que coordinatrice de ce projet ?

Parce que je suis à l’origine de l’invention de la technologie. Bien sûr, je ne fais pas ça toute seule, je fais ça avec mon équipe. C’est nous qui avons mis au point la technologie, qui avons apporté la première preuve de concept et déposé le brevet français et, par la suite, européen.

Pourquoi avez-vous décidé de candidater plus particulièrement sur l’EIC Pathfinder ? En quoi cet appel répond au projet que vous proposiez ? 

J’ai un projet qui est high risk/high gain, qui est difficilement finançable. Quand on regarde les éléments clés de l’EIC Pathfinder, on nous demande d’avoir un élément transformateur sur la société, une technologie ambitieuse, nouvelle et de rupture qui nécessite une validation pour mener à son industrialisation, donc à TRL assez bas. Et je pense que nous cochions toutes les cases.

Est-ce que le projet est né après avoir pris connaissance de l’EIC Pathfinder ou aviez-vous d’abord ce projet en tête puis vous avez cherché à le faire financer ?

Je pense qu’il faut d’abord avoir le projet avant de chercher des appels, parce que si on fait l’inverse, je ne suis pas sûre que cela peut bien fonctionner. Il faut avoir une idée très claire de son projet, maîtriser tous les enjeux et identifier les leviers pour pouvoir aller plus loin. En tout cas, c’était le cas pour moi. J’avais mon projet et il fallait que je trouve un appel qui me permette de réunir des compétences bien spécifiques, qui n’existent pas toujours en France, mais aussi un financement assez conséquent parce que le « challenge » est très élevé.

Au moment du dépôt, à quel TRL était votre projet ? 

Le projet était entre les TRL 3 et 4, je pense atteindre les TRL 5-6 en fin de projet. Ce qui est effectivement avancé par rapport à ce qui est demandé pour un EIC Pathfinder mais la notion de timing pour notre projet est importante. Nous arrivons avec une technologie axée sur les vaccins après une pandémie mondiale.

Comment vous êtes-vous faite accompagner pour le montage de ce projet ? Quelles ont été vos plus grandes difficultés ? 

J’ai été accompagnée par la cellule valorisation du CNRS pour le budget et les aspects administratifs, ce qui était très bien. Le service a demandé de l’aide financière pour pouvoir solliciter les services d’une boîte de consulting pour tout ce qui concernait l’impact et la valorisation. Notre partenaire Eurice a aussi joué un rôle très important car il avait de l’expérience dans le montage de projets européens ce qui était très bénéfique.
Pour moi, c’est indispensable car ces parties-là ne sont pas évidentes à remplir par les chercheurs. La difficulté majeure c’est de rentrer dans le budget. Ça n’a pas été évident car tous les partenaires avaient besoins très différents ce qui est normal pour un projet aussi multidisciplinaire que le nôtre.  Il a fallu quelques discussions pour trouver un terrain d’entente. Même si c’était la deuxième fois que nous déposions ensemble ce projet, les négociations ont dû, tout de même, repartir à zéro. C’était assez chronophage puis je ne suis experte sur ces aspects donc l’accompagnement a été primordial.

Est-ce votre premier projet européen ? 

C’est le troisième projet européen auquel je participe. Il y a eu un projet dont j’étais également à l’origine, j’ai activement participé à la construction du consortium mais j’ai refusé d’en être la coordinatrice. Déjà, parce qu’il s’agissait d’un projet collaboratif avec un consortium plus grand, plus difficile à manager. Être coordinateur nécessite un énorme investissement, il faut avoir le temps et l’envie. Ce n’était pas le bon moment pour que je puisse m’investir comme je le fais pour Yscript. J’ai également eu des projets FEDER qui sont un peu différents mais qui restent des projets européens. 

Vous avez été évaluatrice pour des projets européens précédemment, considérez-vous cette expérience comme un plus pour les projets européens que vous avez déposés par la suite et pourquoi?

Une bonne partie de ma recherche est technologique et donc, sous l’ancien programme-cadre Horizon 2020, je voulais répondre à des appels FET Open (Future Emerging Technologies), ancêtres de l’EIC Pathfinder, avec un réel aspect technologique. A mes yeux, c’était un plus d’avoir participé à l’évaluation de ces projets, ça m’a permis de développer une vision claire sur ce qui est bien et pas bien en termes de rédaction. On acquiert une vision pertinente de ce qui se fait actuellement dans nos domaines. Je suis également évaluatrice sur d’autres types d’appels européens, surtout les ERC.

Combien de projets évaluiez-vous par vague ?

J'en recevais entre 6 et 8 mais il y en avait toujours quelques-uns où il y avait un conflit d’intérêt donc je les renvoyais. Donc finalement, on va dire environ 5 en moyenne.
Le debrief réalisé par la Commission européenne avant chaque évaluation permet d’avoir une vision de l’intérieur, ce qui est demandé aux évaluateurs quand on dépose son projet par la suite. Ça peut être vraiment un plus. 
D’autre part, je pense que c’est également notre travail de scientifiques de participer aux évaluations de tels projets car, si les experts n’évaluent pas, on laisse la place à des personnes « à peu près » et ce n’est pas bon pour la recherche. Ça reste des financements publics donc ça fait partie de nos missions de chercheurs de s’assurer que les financements vont à ceux qui le méritent et aux bons endroits. 

Comment avez-vous organisé le re-dépôt de votre projet ? 

Nous avons retravaillé en se basant sur le rapport d’évaluation, l’ESR (Evaluation Summary Report), c’était important pour nous de l’avoir. Ça nous a permis de voir les points clés qui devaient être revus ou alors mieux mis en avant.
Nous avions deux points qui étaient au cœur de cette révision : le premier était de mettre en avant de manière très claire une quantification de l’objectif à atteindre et le deuxième concernait l’impact du projet sur les jeunes chercheurs et chercheuses. Je pense que nous n’avions pas été clairs dans ce que nous annoncions mais la remarque était aussi très pointilleuse. Après, ce sont des appels très compétitifs donc tous les points comptent.  

Comment se déroulent les premiers mois de votre projet ? Interagissez-vous avec la Commission ?

Ça se passe très bien. La première project officer de la Commission européenne sur Yscript m’a tout de suite mise comme évaluatrice sur le bilan d’un projet FET en cours, j’ai trouvé ça génial. Elle voulait que je comprenne ce qu’on attendra de moi d’ici un an. Maintenant ce n’est plus elle, mais le remplaçant est tout aussi bien. Je suis en contact avec lui assez souvent à chaque fois que j’ai besoin de son aval ou aide sur divers points. Dès la réunion de lancement, il m’avait dit clairement que si j’étais en retard pour les livrables, il fallait bien que je prévienne en avance pour qu’ils puissent s’arranger de leur côté. Nous sommes des humains et le plus important est de communiquer et d’anticiper.

Si vous deviez donner un conseil à des personnes qui souhaiteraient se lancer dans l’EIC Pathfinder et, plus particulièrement, en tant que coordinateur ? 

Je pense qu’il faut savoir exactement ce qu’on veut faire. Il faut cocher toutes les cases de l’appel. J’ai déposé un nouveau projet EIC Pathfinder cette année, sur une toute autre thématique et en tant que partenaire, mais ce n’est pas passé car nous ne sommes pas assez en rupture. Il faut vraiment proposer une technologie qui le soit et que les partenaires du projet soient complémentaires, surtout pas de redondance, et qu’ils apportent, tous, une plus-value au projet. Puis ne pas dire qu’on est multidisciplinaire si ce n’est pas le cas.
Un autre écueil, c’est de le faire au dernier moment, il faut idéalement six mois minimums.
Pour finir, le contenu du projet doit guider le choix de l’appel et non l’inverse. Forcer son projet à un appel alors qu’il ne l’est pas est une perte de temps car il y aura toujours des failles à un endroit donné.